La finance durable s’impose comme un enjeu majeur pour le secteur bancaire mondial. Les établissements financiers se trouvent désormais au cœur d’un débat juridique et éthique concernant leur responsabilité dans le financement de projets ayant des impacts environnementaux négatifs. Cette question soulève des problématiques complexes à l’intersection du droit bancaire, du droit de l’environnement et du droit de la responsabilité civile. Les récentes évolutions législatives et jurisprudentielles témoignent d’un durcissement progressif des obligations imposées aux banques, qui doivent désormais intégrer des critères de durabilité dans leurs décisions d’investissement et de financement, sous peine de voir leur responsabilité engagée.
Le cadre juridique émergent de la finance durable
Le développement d’un cadre normatif encadrant la finance durable constitue une réponse aux préoccupations grandissantes concernant l’impact environnemental des activités économiques. Au niveau international, l’Accord de Paris de 2015 a marqué un tournant décisif en fixant des objectifs climatiques ambitieux, incitant indirectement les acteurs financiers à réorienter leurs flux de capitaux. Les Principes pour l’Investissement Responsable des Nations Unies, lancés en 2006, ont posé les bases d’une intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les pratiques d’investissement.
L’Union européenne s’est positionnée comme pionnière avec l’adoption du Plan d’action pour la finance durable en 2018, suivi de plusieurs règlements structurants. Le Règlement Taxonomie (2020/852) établit un système de classification des activités économiques durables, fournissant aux banques un référentiel pour évaluer leurs portefeuilles. Le Règlement Disclosure (2019/2088) impose aux acteurs financiers des obligations de transparence concernant l’intégration des risques en matière de durabilité dans leurs processus décisionnels.
En France, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 a introduit l’article 173, précurseur en matière de reporting climatique pour les investisseurs institutionnels. La loi PACTE de 2019 a renforcé cette tendance en imposant aux sociétés de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux dans leur gestion. Plus récemment, la loi Climat et Résilience de 2021 a introduit de nouvelles contraintes pour les établissements financiers, notamment concernant l’arrêt du financement des énergies fossiles.
La soft law comme moteur d’évolution
Parallèlement au cadre réglementaire contraignant, un corpus de normes volontaires s’est développé, influençant significativement les pratiques bancaires. Les Principes de l’Équateur, adoptés en 2003 et régulièrement mis à jour, constituent un cadre de référence pour l’évaluation et la gestion des risques environnementaux et sociaux dans le financement de projets. À ce jour, plus de 110 institutions financières dans 38 pays ont adhéré à ces principes, couvrant environ 70% des financements de projets internationaux dans les pays émergents.
Les recommandations de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) publiées en 2017 fournissent un cadre pour la divulgation d’informations financières liées au climat, progressivement intégrées dans les pratiques de reporting des banques. De même, l’Alliance bancaire Net-Zero lancée en 2021 engage ses membres à aligner leurs portefeuilles de prêts et d’investissements sur des trajectoires visant la neutralité carbone d’ici 2050.
- Évolution des engagements volontaires vers des obligations juridiques
- Influence croissante des standards internationaux sur les législations nationales
- Développement d’une jurisprudence basée sur les référentiels de soft law
Cette convergence entre hard law et soft law dessine progressivement les contours d’une responsabilité bancaire renforcée en matière de financement durable, créant un environnement juridique hybride où la frontière entre l’engagement volontaire et l’obligation légale devient de plus en plus ténue.
Les fondements juridiques de la responsabilité bancaire
La responsabilité des établissements bancaires pour le financement de projets non durables peut être analysée sous plusieurs angles juridiques, chacun offrant des perspectives différentes quant à l’étendue des obligations et des risques encourus par les banques.
La responsabilité civile délictuelle
Le fondement classique de la responsabilité civile délictuelle, reposant sur l’article 1240 du Code civil français, pourrait théoriquement s’appliquer aux banques finançant des projets causant des dommages environnementaux. Pour engager cette responsabilité, trois éléments doivent être réunis : une faute, un dommage et un lien de causalité entre les deux. La difficulté majeure réside dans la démonstration du lien causal entre le financement accordé par la banque et le préjudice environnemental subi, particulièrement en raison de la distance entre l’acte de financement et le dommage effectif.
Néanmoins, l’évolution jurisprudentielle tend à reconnaître des chaînes causales de plus en plus étendues. L’affaire RWE v. Lliuya en Allemagne illustre cette tendance, avec un tribunal ayant admis la recevabilité d’une action contre un émetteur de gaz à effet de serre pour sa contribution au changement climatique affectant une communauté péruvienne. Cette approche pourrait, par extension, s’appliquer aux financeurs de telles activités.
Le devoir de vigilance
La loi sur le devoir de vigilance adoptée en France en 2017 constitue une avancée significative dans la responsabilisation des grandes entreprises, incluant les banques. Cette législation impose aux sociétés employant au moins 5000 salariés en France ou 10000 dans le monde d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance visant à identifier et prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains, à l’environnement et à la santé résultant de leurs activités et de celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs.
Pour les établissements bancaires, cette obligation s’étend aux risques liés aux projets qu’ils financent. Le non-respect de cette obligation peut engager leur responsabilité civile et les exposer à des actions en justice, comme l’illustre la mise en demeure adressée à la BNP Paribas en 2020 par plusieurs ONG concernant ses financements dans le secteur pétrolier et gazier.
La responsabilité pour complicité
Une piste émergente concerne la qualification de complicité pour les banques finançant des projets causant des dommages environnementaux significatifs. En droit pénal français, la complicité suppose la connaissance du projet délictueux et une aide consciente à sa réalisation. Dans le contexte du financement de projets non durables, cette qualification pourrait s’appliquer si la banque octroie un financement en ayant pleinement conscience des risques environnementaux majeurs du projet.
La jurisprudence internationale offre des précédents intéressants, notamment avec l’affaire Kiobel v. Royal Dutch Petroleum aux États-Unis, qui a soulevé la question de la complicité d’entreprises dans des violations de droits humains. Bien que cette affaire n’ait pas abouti à une condamnation, elle a ouvert un débat juridique sur la responsabilité des acteurs économiques dans le financement d’activités préjudiciables.
- Extension progressive du périmètre de responsabilité des financeurs
- Renforcement du lien causal entre financement et dommages environnementaux
- Émergence de nouvelles théories juridiques adaptées aux enjeux climatiques
Ces différents fondements juridiques, bien qu’encore en développement, dessinent les contours d’une responsabilité bancaire élargie, reflétant l’évolution des attentes sociétales et des normes juridiques face aux défis environnementaux contemporains.
Jurisprudence et contentieux climatiques impliquant les banques
Le paysage juridique concernant la responsabilité des établissements bancaires en matière de financement non durable connaît une mutation rapide, portée par la multiplication des contentieux climatiques. Ces actions en justice, bien que relativement récentes, façonnent progressivement une jurisprudence qui précise les contours de la responsabilité bancaire.
Les procédures pionnières
L’affaire Milieudefensie et al. v. Royal Dutch Shell aux Pays-Bas a marqué un tournant dans la jurisprudence climatique. En mai 2021, le tribunal de district de La Haye a ordonné à Shell de réduire ses émissions de CO2 de 45% d’ici 2030 par rapport à 2019, se fondant sur le devoir de vigilance de l’entreprise et son obligation de respecter les droits humains. Cette décision, bien que ne concernant pas directement une banque, établit un précédent majeur en reconnaissant la responsabilité d’une entreprise privée dans la lutte contre le changement climatique.
En France, l’action engagée contre BNP Paribas par plusieurs organisations non gouvernementales constitue une première dans le secteur bancaire. Fondée sur la loi relative au devoir de vigilance, cette procédure vise à contraindre la banque à cesser ses financements aux entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles. La mise en demeure adressée à BNP Paribas en octobre 2022 souligne l’incompatibilité alléguée entre ces financements et les engagements climatiques de la banque.
Aux États-Unis, le procès Massachusetts v. ExxonMobil a ouvert la voie à une nouvelle forme de contentieux basée sur la protection des consommateurs et des investisseurs. L’État du Massachusetts a poursuivi ExxonMobil pour avoir trompé les consommateurs et les investisseurs sur les risques climatiques liés à ses produits. Par analogie, cette approche pourrait s’appliquer aux banques qui présenteraient leurs produits financiers comme durables sans mettre en œuvre des politiques cohérentes.
L’émergence des class actions climatiques
Le développement des actions de groupe dans le domaine climatique représente un risque juridique croissant pour les établissements bancaires. En Australie, l’affaire McVeigh v. Retail Employees Superannuation Trust a vu un membre d’un fonds de pension poursuivre ce dernier pour manquement à son devoir fiduciaire en n’ayant pas pris en compte les risques climatiques dans sa stratégie d’investissement. Bien que l’affaire se soit soldée par un accord à l’amiable, elle illustre la possibilité pour les clients ou les actionnaires d’une banque d’engager sa responsabilité sur des fondements similaires.
En Europe, plusieurs actions collectives sont en préparation, s’appuyant notamment sur la directive européenne relative aux actions représentatives adoptée en 2020, qui facilite les recours collectifs en matière de protection des consommateurs. Cette évolution juridique pourrait exposer les banques à des litiges de grande ampleur concernant leurs politiques de financement.
- Diversification des fondements juridiques invoqués dans les contentieux climatiques
- Extension de la notion de préjudice écologique aux conséquences du financement bancaire
- Reconnaissance progressive d’un devoir de cohérence entre engagements climatiques et pratiques de financement
Les décisions rendues dans ces affaires pionnières, bien qu’encore limitées, contribuent à dessiner les contours d’une jurisprudence climatique qui pourrait substantiellement redéfinir les obligations des établissements bancaires en matière de financement durable. L’évolution de cette jurisprudence est étroitement surveillée par les acteurs du secteur, conscients des risques juridiques et réputationnels associés.
Obligations de due diligence et évaluation des risques ESG
Face à l’évolution du cadre juridique et aux risques contentieux croissants, les établissements bancaires doivent développer des procédures robustes de diligence raisonnable intégrant pleinement les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs décisions de financement.
La méthodologie d’évaluation des risques ESG
L’évaluation des risques ESG dans le cadre du financement de projets requiert une méthodologie structurée et exhaustive. Les banques doivent désormais aller au-delà de l’analyse financière traditionnelle pour intégrer une évaluation multidimensionnelle des impacts potentiels des projets qu’elles financent.
La Banque Centrale Européenne a publié en 2020 un guide relatif aux risques liés au climat et à l’environnement, définissant ses attentes en matière de gestion et de divulgation de ces risques. Ce document préconise une approche holistique, intégrant les risques climatiques et environnementaux à tous les niveaux de l’organisation bancaire et dans toutes les phases du processus de crédit.
Le Comité de Bâle a quant à lui élaboré des principes pour l’intégration efficace des risques climatiques dans le cadre prudentiel bancaire. Ces principes soulignent l’importance d’une évaluation prospective, tenant compte des scénarios climatiques à long terme et de leurs impacts potentiels sur la viabilité des projets financés.
Dans la pratique, cette évaluation peut s’appuyer sur plusieurs outils complémentaires :
- L’analyse de l’empreinte carbone des projets et leur alignement avec les trajectoires de décarbonation sectorielles
- L’évaluation des risques physiques liés au changement climatique (inondations, sécheresses, montée des eaux, etc.)
- L’analyse des risques de transition (évolutions réglementaires, technologiques, de marché)
- L’examen de la gouvernance environnementale des porteurs de projets
L’intégration dans les processus décisionnels
L’évaluation des risques ESG doit s’intégrer de manière opérationnelle dans les processus décisionnels des établissements bancaires. Cela implique une évolution significative des pratiques et des outils d’analyse.
La Commission européenne a publié en 2021 un acte délégué précisant comment les entreprises financières doivent rendre compte de la proportion de leurs activités alignées avec la Taxonomie européenne. Cette obligation pousse les banques à développer des indicateurs de performance spécifiques et à intégrer ces critères dans leurs tableaux de bord décisionnels.
Certaines institutions financières pionnières ont mis en place des systèmes de notation ESG internes, attribuant des scores aux projets en fonction de leur performance environnementale et sociale. Ces notations influencent directement les conditions de financement, avec des mécanismes de tarification préférentielle pour les projets les plus vertueux.
Le groupe Crédit Agricole, par exemple, a développé une méthodologie d’évaluation des transitions énergétiques et environnementales, permettant d’évaluer l’engagement des entreprises clientes dans la transition bas-carbone. Cette évaluation est progressivement intégrée dans les processus d’octroi de crédit de la banque.
La traçabilité et la documentation des diligences
Un aspect crucial de la due diligence ESG réside dans la documentation et la traçabilité des analyses effectuées. Face au risque contentieux croissant, les banques doivent être en mesure de démontrer la rigueur de leurs processus d’évaluation et la cohérence de leurs décisions.
Le Règlement Disclosure (SFDR) impose aux acteurs financiers de publier des informations sur leur politique relative à l’intégration des risques en matière de durabilité dans leur processus de prise de décision d’investissement. Cette exigence de transparence renforce la nécessité d’une documentation structurée des diligences effectuées.
Dans cette optique, plusieurs établissements bancaires développent des outils numériques dédiés à la traçabilité des analyses ESG. Ces plateformes permettent de centraliser les informations collectées, les méthodologies appliquées et les décisions prises, constituant ainsi une piste d’audit complète en cas de contestation ultérieure.
La mise en place de comités ESG dédiés au sein des institutions financières contribue à formaliser les processus décisionnels et à garantir une prise en compte effective des critères de durabilité dans les décisions de financement les plus sensibles.
Vers une redéfinition de la responsabilité fiduciaire des banques
L’évolution du cadre juridique et des attentes sociétales concernant le rôle des institutions financières dans la transition écologique conduit à une redéfinition profonde de la responsabilité fiduciaire des banques. Cette transformation conceptuelle modifie la nature même de la relation entre les établissements bancaires et leurs parties prenantes.
L’élargissement du concept de responsabilité fiduciaire
Traditionnellement, la responsabilité fiduciaire des institutions financières était principalement orientée vers la maximisation du rendement financier pour leurs clients et actionnaires. Cette conception restrictive est désormais remise en question par l’émergence d’une vision plus holistique, intégrant les impacts environnementaux et sociaux comme composantes essentielles de la création de valeur à long terme.
Aux États-Unis, le débat sur l’Employee Retirement Income Security Act (ERISA) illustre cette évolution. Alors que l’administration Trump avait adopté une règle limitant l’intégration des facteurs ESG dans les décisions d’investissement des fonds de pension, l’administration Biden a inversé cette position, reconnaissant explicitement que ces facteurs peuvent être pertinents pour l’analyse financière et la gestion des risques à long terme.
En Europe, l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (ESMA) a clarifié que la prise en compte des risques de durabilité fait partie intégrante de la responsabilité fiduciaire des gestionnaires d’actifs. Cette position s’appuie sur la reconnaissance que les facteurs environnementaux et sociaux peuvent avoir un impact matériel sur la performance financière à long terme des investissements.
Cette redéfinition conceptuelle trouve un écho dans la jurisprudence émergente. L’affaire McVeigh v. REST en Australie, bien que résolue par un accord à l’amiable, a soulevé la question fondamentale de savoir si la non-prise en compte des risques climatiques constitue une violation du devoir fiduciaire. Le fonds de pension défendeur a finalement reconnu que le changement climatique représente un risque matériel pour ses investissements et s’est engagé à intégrer ce facteur dans sa stratégie.
La double matérialité comme nouveau paradigme
Le concept de double matérialité, promu notamment par la Commission européenne dans ses lignes directrices sur l’information non financière, constitue un changement paradigmatique dans l’appréhension de la responsabilité bancaire. Cette approche considère à la fois :
- La matérialité financière : comment les questions de durabilité affectent la performance financière de la banque
- La matérialité environnementale et sociale : comment les activités de la banque affectent l’environnement et la société
Cette double perspective élargit considérablement le champ de la responsabilité bancaire, en reconnaissant que les établissements financiers doivent rendre des comptes non seulement sur l’impact des risques climatiques sur leur activité, mais aussi sur l’impact de leurs financements sur le climat et l’environnement.
La Directive sur la publication d’informations en matière de durabilité (CSRD), qui remplacera progressivement la Directive sur l’information non financière (NFRD), consacre cette approche de double matérialité et étend son champ d’application à un nombre beaucoup plus important d’entreprises, renforçant ainsi les exigences de transparence pour le secteur bancaire.
La responsabilité envers les générations futures
Une dimension novatrice de la redéfinition de la responsabilité fiduciaire concerne la prise en compte des intérêts des générations futures. Cette perspective temporelle élargie transforme profondément la notion même de responsabilité bancaire, en l’inscrivant dans une temporalité qui dépasse largement les horizons traditionnels de l’analyse financière.
Cette évolution trouve un ancrage juridique dans le principe de développement durable, défini par le rapport Brundtland comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Ce principe, progressivement intégré dans les législations nationales et internationales, peut être interprété comme imposant aux acteurs économiques, y compris aux banques, une obligation de préservation du capital naturel.
Des initiatives juridiques innovantes témoignent de cette tendance. Aux Pays-Bas, la Fondation Urgenda a obtenu une décision historique obligeant l’État néerlandais à réduire ses émissions de gaz à effet de serre pour protéger les droits des générations actuelles et futures. Par extension, cette logique pourrait s’appliquer aux acteurs financiers qui contribuent au financement d’activités climaticides.
En termes de gouvernance bancaire, cette dimension intergénérationnelle se traduit par l’émergence de nouveaux mécanismes institutionnels. Certaines banques pionnières ont créé des comités d’éthique intégrant des représentants de la société civile ou des experts en durabilité, chargés d’évaluer l’impact à long terme des politiques de financement. D’autres ont adopté des chartes engageant explicitement l’institution envers les générations futures.
Perspectives et stratégies d’adaptation pour le secteur bancaire
Face à l’évolution rapide du cadre juridique et des attentes sociétales, les établissements bancaires doivent développer des stratégies proactives pour transformer leur modèle d’affaires et s’adapter à ce nouveau paradigme de responsabilité. Cette transformation représente à la fois un défi majeur et une opportunité de positionnement stratégique.
Intégration stratégique de la finance durable
L’intégration des critères de durabilité au cœur de la stratégie bancaire constitue désormais un impératif, tant du point de vue de la gestion des risques que du développement commercial. Cette approche implique une révision profonde des modèles d’affaires traditionnels.
Les établissements les plus avancés dans cette transition, comme la Banque Triodos ou le Crédit Coopératif en France, ont développé des modèles centrés sur l’impact positif, où chaque décision de financement est évaluée à l’aune de sa contribution aux objectifs de développement durable. Cette approche dépasse la simple gestion des risques pour viser activement la création de valeur environnementale et sociale.
D’autres acteurs bancaires majeurs, comme HSBC ou Santander, ont annoncé des engagements ambitieux d’alignement de leurs portefeuilles sur les objectifs de l’Accord de Paris, avec des trajectoires de décarbonation sectorielles et des objectifs chiffrés de financement de la transition énergétique. Ces engagements s’accompagnent généralement d’une refonte des systèmes d’incitation internes, alignant la rémunération des dirigeants et des équipes commerciales sur l’atteinte d’objectifs de durabilité.
La Banque Européenne d’Investissement (BEI) a quant à elle adopté une feuille de route climat ambitieuse, s’engageant à consacrer 50% de ses financements à l’action climatique et à la durabilité environnementale d’ici 2025, et à aligner toutes ses activités sur les principes de l’Accord de Paris. Cette stratégie pionnière pourrait servir de modèle pour d’autres institutions financières publiques et privées.
Développement de produits financiers innovants
L’innovation financière au service de la durabilité représente un axe stratégique majeur pour les banques cherchant à se positionner favorablement dans ce nouvel environnement. Le développement de produits spécifiquement conçus pour financer la transition écologique permet de concilier objectifs commerciaux et responsabilité environnementale.
Les obligations vertes (green bonds) constituent l’exemple le plus emblématique de cette tendance. Ce marché, qui a dépassé 1 000 milliards de dollars d’encours en 2022, offre aux banques à la fois une source de refinancement alignée sur leurs objectifs de durabilité et une opportunité d’accompagner leurs clients dans leurs propres transitions. La Banque Européenne d’Investissement a été pionnière dans ce domaine avec l’émission de la première obligation climatiquement responsable en 2007, suivie par de nombreuses institutions financières privées.
Les prêts à impact ou sustainability-linked loans représentent une innovation plus récente. Ces instruments de dette intègrent des mécanismes d’ajustement du taux d’intérêt en fonction de l’atteinte d’objectifs de performance ESG prédéfinis par l’emprunteur. Ce modèle, développé initialement par ING en 2017, connaît une croissance exponentielle, offrant aux banques un outil concret pour inciter leurs clients à améliorer leur performance environnementale.
D’autres innovations incluent les obligations de transition (transition bonds), spécifiquement conçues pour financer la décarbonation des industries à forte intensité carbone, ou encore les obligations bleues (blue bonds), dédiées à la protection des océans et des ressources marines.
Renforcement des capacités et de l’expertise ESG
La transformation du secteur bancaire vers un modèle plus durable nécessite un renforcement significatif des compétences et de l’expertise en matière environnementale et sociale. Cette montée en compétence constitue un défi organisationnel majeur pour des institutions traditionnellement centrées sur l’expertise financière.
La formation des collaborateurs représente un axe prioritaire de cette transformation. Des établissements comme BNP Paribas ou Société Générale ont développé des programmes de formation internes visant à sensibiliser l’ensemble de leurs collaborateurs aux enjeux de la finance durable et à former plus spécifiquement leurs équipes commerciales et d’analyse de risques aux méthodologies d’évaluation ESG.
Le recrutement de profils spécialisés constitue un autre levier stratégique. De nombreuses banques ont créé des départements dédiés à la finance durable, intégrant des experts issus des domaines de l’environnement, de l’énergie ou du développement durable. Cette diversification des profils contribue à enrichir l’analyse des risques et à identifier de nouvelles opportunités de marché.
La collaboration avec des organismes externes spécialisés permet de compléter ces dispositifs internes. Des partenariats avec des universités, des think tanks ou des ONG environnementales facilitent l’accès à une expertise pointue et contribuent à l’évolution des pratiques bancaires. La 2 Degrees Investing Initiative, par exemple, collabore avec de nombreuses institutions financières pour développer des méthodologies d’alignement des portefeuilles avec les objectifs climatiques.
- Développement de formations certifiantes en finance durable pour les collaborateurs
- Création de pôles d’expertise thématiques (climat, biodiversité, économie circulaire)
- Intégration des compétences ESG dans les référentiels métiers bancaires
Cette professionnalisation de l’expertise ESG au sein des banques témoigne de la transformation profonde du secteur et de la reconnaissance du caractère stratégique des enjeux de durabilité pour l’avenir de l’activité bancaire.